UNE ÉCONOMIE EN MOUVEMENT 4
Le village est une entité vivante 24 sur 24h
Le village au Vietnam comme dans les autres pays est l’unité de base de l’organisation administrative. Il est l’espace vital d’une collectivité de foyers agricoles: c’est l’espace de sédentarisation de ces foyers, l’espace de travail, de solution des travaux quotidiens au point de vue administratif et communal (travaux publics, garde et patrouille de reconnaissance, travaux hydrauliques, etc…), l’espace de culte du génie tutélaire — généralement un héros national ou un patron artiste, l’espace des préoccupations quotidiennes…
Les chercheurs vietnamiens considèrent depuis longtemps que le village est une unité agro-industrielle et commerciale (bien que le volet commercial est très faible), même à petite échelle, dans laquelle la répartition du travail ne se manifeste pas nettement jusqu’à nos jours.
L’organisation rigoureuse du village est maintenue de génération en génération et les habitants du village sont fréquemment liés entre eux par des liens du sang, et représentent quelques lignées. La consolidation de la lignée crée d’une part des relations de caractère patriarcal (maintien d’un régime féodal, de protection mutuelle), et lie d’autre part les membres d’une collectivité à un degré déterminé. L’organisation du village et les liens du sang des lignées avaient maintes fois créé dans le passé des situations où « les coutumes du village l’emportent sur les lois du royaume », cette parole se vérifiant de moins en moins de nos jours.
Des avis de quelques chercheurs étrangers avant 1975 considéraient que la structure et l’organisation des villages au Nord Vietnam étaient différentes de celles du Sud (et ainsi voulaient démontrer que le Sud Vietnam était une entité distincte), mais cela n’est exact qu’en apparence. Par exemple, la plupart des villages du Nord se rassemblent à l’intérieur du cordon vert de bambous, alors que dans le delta du Mékong, les villages longent la route nationale ou les canaux pour s’adapter aux conditions locales (terrain étroit et creux dans les plaines du Nord, qu’on doit quelquefois remblayer en creusant des mares, tandis qu’au Sud, la terre est immense, alunifère ou saline et il faut s’installer le long des canaux). L’organisation du village est presque identique, bien que le nom des notables puisse être différent.
La majorité absolue des villages au Vietnam se livre à la riziculture, et suivant les conditions du relief et du sol, d’irrigation et d’évacuation de l’eau, en plus à la culture des plantes vivrières et des arbres fruitiers (particulièrement dans les anciennes lais, les bandes de terre riveraines), à l’élevage des animaux domestiques (surtout le porc), des volailles et des poissons. Bien que la terre fournisse 2 à 3 récoltes par an, les travailleurs en excédent à la campagne sont assez nombreux, c’est pourquoi presque tous savent encore fabriquer certains produits artisanaux, même pour l’usage familial.
Certains villages (dont le nombre total dépasse 300) se spécialisent dans la fabrication des produits artisanaux, essentiellement dans la plaine du Nord Vietnam et au nord du Centre Vietnam. Dans ces villages artisanaux spécialisés, dont le travail se réalise dans chaque foyer, le nombre d’artistes et d’artisans ne cède en rien à celui des employés dans les entreprises moyennes des centres urbains. Le plus renommé au Nord Vietnam est le village Bât Tràng, où 1.730 foyers sur le total de 2.800 fabriquent des poteries vendues dans tout le pays et exportées à l’étranger. Le village des ciseleurs d’argent Dông Sâm (Thâi Binh) en 1989 compte 500 ouvriers; le village Van Phuc (Hà Tây), se spécialisant dans le tissage de la soie naturelle a une quantité non moindre d’ouvriers. Les autres provinces ont des villages artisanaux analogues, comme le village de poteries de Dông Nai, de laque poncée de Sông Bé, de fabrication des objets de bois de Nha Trang, etc… Après de nombreuses vicissitudes, récemment de 1989 à 1991, ces villages sont restaurés dans le cadre du mouvement de restructuration agricole à la campagne et ce sont les prémisses de l’industrialisation.
Les produits fabriqués par les foyers individuels sont vendus dans les « marchés ruraux », sans compter leur acheminement vers les villes. Ce système de marchés existe depuis longtemps, généralement quelques villages ont un marché commun, se réunissant à des jours déterminés, par exemple les 4e et 9e du mois lunaire pour un marché et les 2e et 8e pour un autre. Au point de vue de l’organisation de l’espace, les lieux de réunion des marchés depuis des temps lointains créent un réseau considéré comme rationnel, permettant aux paysans d’un village de vendre et d’acheter des marchandises aux divers marchés de la région par roulement pendant 10 à 15 jours, et ce qui est important, sur une distance raisonnable (de quelques kilomètres ou un peu plus). Peut-être c’est le point qui correspond à la théorie des « places centrales » de Christaller, mais ce système de marchés est en place depuis des siècles auparavant.
Ainsi, le village du Vietnam a une activité multiforme, malgré son aspect extérieur assez calme. Les grands incidents au Vietnam s’y sont déroulés : pendant la guerre de résistance contre les Français, ce sont des « villages de résistance »; lors de la réforme agraire, ils sont le siège de la lutte rapportant les terres aux laboureurs; au cours de la guerre de résistance contre les Américains, ils sont les lieux d’évacuation des usines, des services publics, des écoles et de la population urbaine, l’arrière qui nourrit et recrute les soldats. En temps de paix, ils jouent le rôle traditionnel de produire et de fournir à la société les produits alimentaires et autres produits nécessaires.